La relation de l’homme et de l’univers dans la pensée chinoise
Ou la conception de la globalité
Comme évoqué brièvement dans la présentation, la médecine chinoise s’inscrit dans un système de pensée très vaste et très complet.
De ce système est issue la théorie de la globalité (zhengti guannian 整 體 觀念) qui permet de mieux comprendre la vision chinoise de l’être humain dans l’univers. Nous allons voir ici ce qu’implique cette théorie spécifiquement dans le cadre de la médecine chinoise.
Elle peut être divisée en quatre aspects:
L’unité intrinsèque de l’organisme:
L’être humain constitue un ensemble global et indivisible, toutes les parties du corps sont connectées entre elles de façon continue.
Cela signifie que les manifestations de certaines zones du corps peuvent refléter celui ci dans son ensemble. D’où la pratique de la palpation des pouls et de l’examen de la langue lors de l’entretien clinique. L’acupuncture, à travers le système de méridiens et le massage, fonctionnent sur le même modèle permettant d’obtenir des effets thérapeutiques sur l’ensemble du corps à partir de la zone sur laquelle on agit. Les théories du Yinyang et des 5 mouvements(五行 wuxing) découlent de cette vision de l’être humain, nous les aborderons en détail prochainement.
L’interrelation entre l’homme et l’environnement:
Ou comment le macrocosme (univers/environnement) influence, interagit avec le microcosme (l’individu/ensemble corps-esprit).
L’être humain est en constante relation avec son environnement, notre corps s’adapte en permanence (la plupart du temps de façon inconsciente) aux changements du monde extérieur. Il est donc indispensable pour rester en bonne santé que notre corps conserve une capacité d’adaptation suffisante pour faire face à ces influences (climatiques, saisonnières mais aussi virales, sociales…). Nos mécanismes perceptifs vont jouer un grand rôle dans l’interprétation de notre environnement et donc dans notre capacité à nous « synchroniser » avec ce dernier.
A noter qu’il s’agit bien d’une interrelation, c’est à dire d’une relation mutuelle entre l’individu et l’environnement (en tant que « tout ce qui est autre que soi »). Bien que la relation de l’environnement sur l’individu soit privilégiée en médecine chinoise, il ne faut pas oublier l’influence de l’individu sur son environnement (à travers sa capacité à « modeler » le réel ou son pouvoir de nuisance).
Médecine et écologie se retrouvent donc toutes deux étroitement liées, l’individu ayant ainsi tout intérêt à protéger sa santé autant que son environnement.
L’interaction entre les cycles temporels et la physiologie humaine:
Si jusqu’à maintenant, l’approche était principalement spatiale, nous allons voir qu’elle est aussi temporelle. Ce point découle directement du précédent puisqu’il accorde une importance particulière au déroulement du temps qui n’est autre qu’un moyen qu’ont trouvé les hommes pour attester des perpétuels changements à l’oeuvre dans le monde (manifesté). C’est ainsi qu’on retrouve des cycles saisonniers, annuels, mensuels, journaliers qui viennent rythmer la vie des hommes. Ces notions de cycles temporels se retrouvent notamment dans l’astrologie chinoise (avec l’utilisation des différents calendriers) qui aura une influence sur la médecine chinoise. On retrouve aussi dans les textes classiques, des indications sur les comportements (individuels mais aussi collectifs) à adopter en fonction de la saison. Par exemple, pour le printemps, il sera bon de relâcher, favoriser, encourager et non pas restreindre, contrôler, endiguer. Tout cela afin de faire écho à la nature qui se réveille et se remet à croitre après la mise en sommeil de l’hiver.
A une autre échelle, on peut se représenter les différentes saisons dans une journée. Le matin et le réveil correspondrait au printemps, le midi et le zénith à l’été, l’après midi à l’automne et le repos de la nuit à l’hiver.
Tout comme dans la vie d’un être humain, le printemps pourrait être assimilé à la naissance (l’émergence) , l’été à l’adolescence (la fougue), l’automne à l’âge adulte (la raison), l’hiver à la fin de vie (l’expérience et la transmission).
L’influence mutuelle des facteurs physiques et psychiques:
Dans la pensée occidentale, il est admis que le corps et l’esprit peuvent avoir une influence l’un sur l’autre tout en restant 2 éléments distincts.
Il n’en va pas de même dans la pensée chinoise qui considère ces 2 éléments comme faisant partie d’un tout. L’expression chinoise Xing shen he yi 形 神 合 一 « La forme (corporelle) et l’esprit (conscience organisatrice) unies en un » en est le résumé.
On retrouve cette idée dans les arts martiaux chinois sous la forme des 3 harmonies internes (内三合 nei san he):
« Le coeur se combine/s’unit avec l’intention » 心 与 意 合 - Xin yu yi he
« L’intention se combine/s’unit avec le souffle/Qi » 意 与 气 合 - yi yu qi he
« Le souffle/Qi se combine/s’unit avec la force » 气 与 力 合 - qi yu li he
A noter l’emploi répété du caractère 合 he qui signifie unir, réunir, joindre, combiner, dans l’idée d’agir ensemble, de conjuguer leurs efforts. Pour appuyer le fait que les 2 fonctionnent ensemble et sont indissociables.
Dans le cadre des arts martiaux, les 3 harmonies internes associées aux 3 harmonies externes (les mains unies avec les pieds, les coudes unis avec les genoux et les épaules unies avec les hanches) permettent au pratiquant de bouger de manière globale, complète. Il unifie ainsi le corps et l’esprit dans un mouvement.
Pour revenir à la médecine chinoise, cette unité du psychisme et du corporel prendra la forme de 3 aspects:
Chaque manifestation de la psyché (principalement à travers les émotions) sera en relation mutuelle avec un organe du corps. Ex: La colère peut blesser le foie mais un dérèglement du foie peut aussi engendrer de l’irritabilité.
Les émotions sont en relation entre elles, ainsi la tristesse contrôlera ou atténuera la colère, la peur diminuera la joie…
Chaque manifestation de la psyché exerce une influence sur le dynamisme du corps à travers les mécanismes du Qi. Par exemple: la colère fera monter le Qi (sensation de chaleur en haut du corps, visage rouge) , la joie/satisfaction le relâchera, la peur fera descendre le Qi (jambes qui tremblent, incontinence), les soucis nouent le Qi, la tristesse diminue le Qi…
Les problèmes d’ordre psychologique ne seront donc pas abordés uniquement du point de vue psychique mais aussi d’un point de vue corporel car ils peuvent découler d’un dysfonctionnement des organes (entendre ici la fonction de l’organe en médecine chinoise et non l’organe en lui même).
Ces 4 aspects composent ce qu’on peut appeler la théorie de la globalité et posent les bases de la place de l’homme « entre ciel et terre » telle que la conçoit la pensée chinoise.
Pour cet article, je me suis appuyé sur le travail du professeur Eric Marié notamment dans son ouvrage: Précis de médecine chinoise édition Dangles.