La théorie du yinyang

阴阳 学说 yinyang xue shuo


Ce concept n’est pas spécifique à la médecine chinoise. Il est très ancien, on le retrouve notamment dans des ouvrages comme le Yijing (le classique des mutations).

Dans la vision occidentale, le Yinyang est souvent perçu comme une opposition entre 2 choses: le jour/ la nuit, le masculin/le féminin…

A noter que la notion d’opposition dans les structures chinoises et occidentales sont assez différentes.

En Europe, le rapport d’opposition entre deux choses s’est principalement développé à travers la notion de dichotomie (du grec dikhotomos: coupé en deux). La dichotomie est donc la séparation en deux éléments qui sont radicalement contraires et à priori incompatibles. Nous allons voir qu’il n’en va pas de même dans la pensée chinoise. En effet cette dernière s’est attachée à concilier des positions qui semblent incompatibles de prime abord, nous permettant ainsi de prendre conscience que la dualité n’est pas la division, l’affrontement ne signifie pas l’anéantissement de l’autre et que la confrontation maîtrisée de forces à priori antagonistes participe à la dynamique vitale de l’individu et de l’univers.

Comme nous le rappelle l’adage taoïste:

一阴一阳是为道

[yi yin yi yang shi wei dao], « un yin, un yang, c’est le dao ».



Au départ, ces 2 termes (qui n’en forment plus qu’un quand on parle du concept) étaient probablement utilisés pour l’agriculture:

  • Le Yin 阴 signifiant l’ubac, la partie d’une colline à l’ombre.

  • Le Yang 阳 signifiant l’adret, la partie éclairée par le soleil.

On les a utilisés par la suite pour parler des forces présentes dans l’univers, des phénomènes cosmologiques, telluriques ou climatiques.

Ils représentaient deux aspects (polarités) d’un Qi universel (voir le concept de Qi dans l’article « Les 3 trésors, fondement de la vie »).

La théorie du Yinyang découle donc directement de celle de Qi, le yin et le yang ne représentent pas pour autant une énergie ou une substance mais plutôt une classification et mettent l’accent sur l’apparition de la notion de dualité à l’intérieur du caractère unique du Qi.

Le yin et le yang sont la première étape dans une longue série de différenciations successives mises en avant dans le Dao de Jing:

道生一,一生二,二生三,三生萬物

Du Dao nait le Un, du Un nait le Deux, du Deux nait le Trois, du Trois naissent les 10000 choses.

Taiji tu

Wuji, taiji (yang actif/yin paisible), wuxing (5 mouvements)

Le premier cercle (vide) de ce dessin représente wuji (wu signifiant l’absence ou une forme de négation et ji les extrémités d’un bâton ou encore la polarité) qu’on peut traduire par absence de polarité ou non dissociation. A cette étape, il n’y a rien de manifesté, de visible, de tangible (sorte de chaos primordial?).

De ce rien, commence à émerger quelque chose (le second cercle noir et blanc), le taiji (ji voulant toujours dire polarité et tai est un superlatif signifiant, très grand, extrême) que nous traduirons par la plus extrême des polarisations. A ce stade, il n’y pas encore eu de différenciation (séparation/manifestation du yin et du yang), mais on note l’émergence d’une “dissociation”  en deux aspects que seront le yin et le yang (liangyi). 

A partir de là, une différenciation plus claire va apparaitre (voir la représentation ci dessous) entre yin et yang et leur principe de divisibilité infinie.

De là, découle deux principes élémentaires:

  • Le premier étant l'omniprésence qui confère aux manifestations du yin et du yang un caractère universel. En effet, toutes choses présentes dans le monde manifesté, peut rentrer dans la catégorie du yin ou du yang. Il s'agira là, bien sûr d'une dominante, chaque chose possédant à la fois une part de yin et une part de yang, elles ne sont toutefois jamais en parts égales (voir les relations entre yin et yang plus bas), et c'est la part la plus importante qui définira si cette chose rentre dans la catégorie du yin ou du yang. Si nous prenons l'exemple d'un homme, il sera classé dans la catégorie yang (dominante chez lui) bien qu'il possède une part de yin.


  • En ce qui concerne le deuxième principe élémentaire, il s'agit de la divisibilité infinie du yin et du yang. Ce principe permet d’appréhender le concept de mutation, de changement progressif développé à l’origine dans le Yi Jing (le classique des mutations) à travers les ba gua  八卦 (huit trigrammes). Un exemple sera plus parlant:


Si la nuit est yin et le jour yang, à partir de minuit et jusqu’aux premières lueurs de l’aube le yang se met progressivement à croitre. Cette phase pourra être appelée « yang dans le yin ». Dès que le soleil apparait, le yin de la nuit laisse place au yang diurne mais le soleil (yang) va poursuivre sa course jusqu’à son zénith. Cette phase sera appelée « yang dans le yang », l’après midi verra la décroissance du yang au profit de la croissance du yin et sera donc le « yin dans le yang »…

différenciation du taiji

Différenciation du Taiji en yin/yang (liangyi) puis sixiang et enfin bagua

Les relations entre Yin et Yang:

  • L’opposition entre yin et yang:


Si ils s’opposent en tous points cela permet qu’ils puissent se compléter mutuellement. La croissance de l’un entraine la décroissance de l’autre, l’empêchant ainsi de devenir excessif. Ce ballet incessant s’exprimera sous la forme d’un équilibre dynamique évoluant à l’intérieur de cycles. Outre l’exemple cité plus haut du cycle jour/nuit, nous pouvons l’observer dans le cycle des saisons (l’hiver représente l’apogée du yin et la mise en sommeil du yang, contrairement à l’été ou la situation s’inverse).

Chez l’être humain, l’activité fonctionnelle (énergie en tant que capacité à effectuer des transformations) est yang alors que la substance (matière) est yin. Ainsi lorsque l’activité augmente, la matière se transforme en énergie (il y a amaigrissement), à l’inverse si l’énergie n’est pas dépensée il y a stockage dans la matière (et donc prise de poids).

Equilibre statique VS équilibre dynamique


  • L’interdépendance du yin et du yang:


Tout comme les 3 trésors (san bao) que nous avons vu précédemment, le yin et le yang sont interdépendants. Ils ne peuvent exister l’un sans l’autre. Pas de lumière sans obscurité, de jour sans nuit ou d’homme sans femme.


« Le yin, à l’intérieur, est le protecteur du yang. Le yang, à l’extérieur, est l’envoyé du yin. » Suwen 5


Sans le yang, le yin ne peut être transformé et sans le yin, le yang ne peut être engendré.

La dissociation complète du yin et du yang signifie la disparition du jing et du qi c’est à dire le terme de la vie.


  • La décroissance et la croissance du yin/yang:


Si on veut qu’il y ait équilibre dynamique du yin et du yang alors tels les plateaux d’une balance ou plutôt des vases communicants, il faut que la croissance de l’un entraine la décroissance de l’autre.

L’aspect dynamique de cet équilibre entraine une disproportion quasi permanente entre le yin et le yang mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est aussi ce qui permet à l’individu d’être en bonne santé ou aux écosystèmes de perdurer.

Il est toutefois nécessaire au maintien de la santé que l’amplitude entre croissance et décroissance reste limitée. Si cette variation venait à s’amplifier, nous sortirions alors de l’équilibre physiologique, provoquant ainsi l’apparition de pathologies.



  • La transformation du yin/yang:


Ce dernier mode relationnel est directement en lien avec le précédent.

En effet, nous pouvons constater, que dans certaines conditions extrêmes (de paroxysme du yin ou du yang), il peut y avoir transformation d’un aspect en son contraire. Le yin excessif se transforme en yang et inversement. Cela se manifestera principalement en terme de froid et de chaleur.

Il est dit:

« Le froid à son extrême produit de la chaleur ; la chaleur à son extrême produit du froid. »

Si l’aspect relationnel précédent était plus d’ordre quantitatif, celui ci est plus de l’ordre du qualitatif.



Nous avons tenté ici, de donner un aperçu du concept de yinyang à travers les principes élémentaires ou leurs modes relationnels.

En ce qui concerne la médecine chinoise, un adage pourrait résumer cette dynamique du yinyang chez l’être humain, il s’agit de:


“阴 平,阳 秘”

« Yin ping, yang mi »

Yin équilibré/paisible (quantitativement), yang secret/caché (fonctionnellement)


De manière physiologique, le yin est paisible à l’intérieur du corps, en quantité adéquate, il n’y a ni trop ni trop peu. Par exemple si le sang ou les liquides organiques sont en insuffisance ou en surabondance (rupture de l’équilibre) ils vont être source de problèmes. Idem pour le yang, la chaleur du corps (aspect yang) pourtant à 37° (plus ou moins selon les individus) demeure imperceptible jusqu’au moment où un déséquilibre du yang (qui se révèle donc au grand jour) va générer une chaleur perceptible de type fièvre.







Pour cet article, je me suis principalement appuyé sur le travail du professeur Eric Marié notamment dans son ouvrage: Précis de médecine chinoise édition Dangles.












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